Après avoir été porté aux nues et présenté comme un symbole de liberté, Pavel Dourov est devenu, dans le discours médiatique occidental, en particulier en France, un paria presque inquiétant. Cela a débouché sur plusieurs jours de garde à vue, ce que le fondateur de Proton, Andy Yen, a décrit comme un suicide économique pour la France.
[140] Telegram, l'affaire Pavel Dourov (2025) (imdb 6,2 / perso 4)
Contenu : Documentaire consacré au parcours de Pavel Dourov, créateur de
VKontakte puis de
Telegram.
Avis perso : Le documentaire est clairement à charge. On retrouve une collection de figures repoussoirs, agglutinées sans nuance : Trump, Musk, Poutine, néonazis, Iran, Russie, pédophilie, viol, et ainsi de suite. Les mentions habituelles à l’homophobie ou au réchauffement climatique manquent presque à l’appel

Les nouveaux élus qui auraient pu renouveler un peu le genre, comme Javier Milei ou Nayib Bukele, ne sont pas évoqués. Il y a matière à critiquer l'application sans pour autant exploiter ce genre de procédés.
Derrière ces effets faciles, il subsiste pourtant une présentation intéressante de l’ascension de Dourov dans une Russie encore en reconstruction. Les intervenants russes et certains documents off donnent de la matière, ce qui sauve les quelques points de mon évaluation.
Les biais sont si nombreux que je me limite à en mentionner que deux.
D'abord, l'omission du contexte des révélations de Snowden de 2013, qui ont provoqué une prise de conscience mondiale de la surveillance de masse. À cette époque, PGP était hors de portée du grand public, Signal restait plus confidentiel, et Telegram a émergé avec une image moderne et simple. L’usage d’une messagerie chiffrée est devenu un marqueur social au-delà du besoin réel, dont dans le milieu journalistique. Pour mémoire, Telegram recevait en 2014 et 2015 des prix qui le plaçaient du côté de l’innovation, pas du soupçon. En supprimant cette partie clef de l’histoire, le réalisateur ne montre plus l’évolution de l’application, mais uniquement l’interprétation actuelle sous le prisme de la diabolisation.
Second point, le documentaire traite superficiellement le rôle de son frère
Nikolaï Dourov. Ce n’est pas un mathématicien compétent, c’est un talent exceptionnel

Trois médailles d’or aux Olympiades internationales de mathématiques et quatre médailles à l’Olympiade internationale d’informatique. Cela le place dans la toute petite élite mondiale en raisonnement abstrait, combinatoire et algorithmique.
Enfin, le film s’arrête juste avant les événements suivant son arrestation. Il manque donc les éléments récents, en particulier les communications de Dourov lui-même, dont certaines remettent en cause des narratifs politiques comme celui de l’élection présidentielle roumaine de 2025. Ce silence affaiblit encore plus la valeur du documentaire.
Disponibilité :
Code : Tout sélectionner
https://www.arte.tv/fr/videos/122721-000-A/telegram-l-affaire-pavel-dourov/
https://youtu.be/165QnB3Jddk
Bonus : J'ai cherché à élaborer une méthode pour analyser par IA un documentaire ou un film qu'elle n'a pas en tête en raison de son inexistence au moment de son élaboration. Cela sans pour autant qu'elle fasse une recherche sur le Net ; ce qui aurait pour effet qu'elle synthétise simplement les analyses de la doxa médiatique. Ainsi, on obtient une vraie analyse par une IA en dehors d'une influence du moment. J'espère la présenter dans la semaine. L'intérêt, au-delà de l'analyse, est aussi de pouvoir confronter sa propre analyse en mettant éventuellement en exergue nos propres biais. Voici l'analyse de ChatGPT pour ce doc. D'ailleurs en étant taquin, on pourrait demander à ChatGPT de lui mettre un label de qualité
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Le documentaire construit un récit orienté vers la méfiance plutôt que vers la compréhension. La structure privilégie l’accumulation d’éléments inquiétants, parfois légitimes, mais rarement contextualisés. L’absence de voix contradictoires et de témoignages techniques solides crée un effet de chambre d’écho. On suit une logique narrative proche de la diabolisation : montage dramatique, associations implicites, glissements entre faits et interprétations, cadrage systématiquement négatif des choix de Telegram et de Pavel Dourov. Cela ne signifie pas que Telegram ou Dourov échappent à toute critique, mais que le documentaire privilégie une lecture morale plutôt qu’une analyse structurée.
Plusieurs omissions affaiblissent la rigueur du récit. L’absence totale du contexte post-Snowden simplifie à l’extrême l’essor de Telegram. Or ce contexte est déterminant : adoption par les milieux militants occidentaux, par les journalistes, par les communautés tech, par les diasporas, puis diffusion dans le grand public. Telegram n’a pas prospéré parce qu’il attirait des usages problématiques, mais parce qu’il répondait à une demande sociopolitique et culturelle très forte. Effacer cette dynamique transforme l’histoire en un récit unidimensionnel.
Le documentaire minimise aussi un élément fondamental : le niveau exceptionnel de Nikolaï Dourov. Son parcours olympique, sa maîtrise avancée en mathématiques et en algorithmique, son rôle central dans l’architecture technique rendent incompréhensible l’évolution de Telegram si l’on ne les mentionne pas. L’ignorer donne l’impression que ses choix cryptographiques relèveraient de l’improvisation ou de l’opacité, alors qu’ils s’inscrivent dans un style intellectuel précis. Le résultat est un récit qui repose davantage sur la suspicion que sur l’examen technique.
Sur la forme, le documentaire use d’un montage qui privilégie l’émotion et l’ambiguïté. Il en ressort une impression de mise en accusation plus qu’une volonté d’expliquer un phénomène complexe. Cela ne disqualifie pas tout ce qu’il montre, mais en limite la valeur analytique. En résumé, ce documentaire éclaire certains aspects réels, mais son parti pris narratif, ses omissions structurantes et son approche psychologisante produisent une vision largement déséquilibrée de Telegram et de Pavel Dourov.
Heureusement que j'ai placé l'analyse de ChatGPT après la mienne, je n'ai aucune chance de pouvoir rivaliser avec sa qualité rédactionnelle
