
L’entreprise HyPrSpace, située à Bordeaux, va bientôt faire décoller sa première fusée nommée Baguette One. Doté d’un moteur innovant, ce lanceur pourrait avoir des débouchés commerciaux dans un secteur encore peu développé dans le New Space français.
Au-delà de Thales Alenia Space, de Safran ou d’Airbus, une pléthore d’entreprises plus petites existe également en France : un New Space qui ne prétend pas se placer au niveau de SpaceX mais qui développe des projets autour du domaine spatial. Parmi ces sociétés figure HyPrSpace, une entreprise bordelaise qui a annoncé un grand pas en avant lors du dernier salon du Bourget : un décollage de sa fusée baptisée Baguette One depuis la France.
« Il s’agira d’un vol suborbital, détaille Sylvain Bataillard, fondateur de l’entreprise. L’objectif est de monter jusqu’à 300 km d’altitude, puis de redescendre. L’idéal serait de pouvoir récupérer l’étage du lanceur grâce à des parachutes. »
Le lancement devrait avoir lieu d’ici à un an, soit depuis Biscarrosse dans les Landes, soit depuis l’île du Levant, près de Hyères dans le Var. Il s’agirait alors du premier décollage d’une fusée française privée depuis la France métropolitaine.
Une technologie « beaucoup plus simple »
Si le programme semble assez simple, il s’agirait d’une véritable prouesse technique, et d’une grande avancée pour le secteur spatial européen. La dernière tentative allemande, signée par Isar Aerospace, s’est terminée par un échec en mars 2025, le lanceur ayant explosé quelques secondes à peine après le décollage. Cela n’a pas empêché l’entreprise fondée en 2018 de lever 150 millions d’euros fin juin 2025 pour continuer à développer sa technologie.
HyPrSpace espère une trajectoire similaire — mais une fin plus heureuse. Née en 2019, cette entreprise installée au Haillan, près de Bordeaux, a pu bénéficier du plan France 2030 censé accompagner plusieurs start-ups du spatial. Elle avait levé 1,1 million d’euros en 2022, puis 35 millions fin 2023. On reste bien loin des quelque 400 millions récoltés au fil des ans par Isar Aerospace, mais cela semble suffisant pour concevoir un lanceur qui se veut innovant et économiquement viable.
« Notre technologie demande un système beaucoup plus simple, assure Sylvain Bataillard. Cela pourrait être beaucoup plus économique sur le long terme. »
Concrètement, il s’agit d’un moteur hybride, avec une partie liquide et une partie solide. Le principe consiste à injecter de l’oxygène liquide dans la chambre où se trouve le kérosène sous forme solide, conçu à base de polymère recyclé. La réaction provoque la combustion, et l’ensemble repose sur des vannes qui s’ouvrent ou non pour laisser passer l’oxygène. « L’idée est de se passer de turbopompe, ajoute Sylvain Bataillard. Un système extrêmement complexe, difficile à maîtriser et cher. »
Le spatial, c’est dur
HyPrSpace réussira-t-il là où Isar a échoué ? Pas sûr. De l’aveu même de son fondateur, l’entreprise a beaucoup à prouver : « C’est une technologie encore jamais testée, si ce n’est au sol. Nous développons quelque chose de nouveau avec une architecture unique, et il y a peu de littérature scientifique sur le sujet. Nous devons donc faire avec beaucoup d’inconnus. Et puis le moindre lancement est une activité complexe, à peu près tout peut poser problème ! »
L’entreprise dispose déjà d’une certaine expérience, car plusieurs essais au sol ont eu lieu en 2021 et 2022, dans les locaux de la direction générale de l’armement (DGA). La direction du ministère des Armées fournira même le pas de tir pour le vrai lancement sur une de ses bases en 2026
Un secteur en construction
Si autant d’efforts sont en jeu, c’est parce que le secteur des lanceurs privés pourrait être extrêmement lucratif avec une technologie robuste et maîtrisée. « Actuellement, si vous voulez mettre un satellite, vous avez deux solutions, résume Sylvain Bataillard. Soit demander une place sur la prochaine Ariane 6, mais c’est cher et ça prendra des années, soit aller du côté des Américains. »

Décollage de la fusée, ce 6 mars 2025. // Source : Capture YouTube CNES Côté européen, pouvoir bénéficier de lanceurs plus souples et moins chers attire du monde. Isar Aerospace assure que son carnet de commandes est complet jusqu’à fin 2026 et que les commercialisations sont en cours jusqu’à 2031, alors même qu’ils n’ont pas encore réussi un seul décollage. En France, au-delà de HyPrSpace, MaiaSpace, filiale d’ArianeGroup soutenue par Safran et Thales, promet une fusée pour l’année prochaine. De même, Latitude et son lanceur Zéphyr, dont le but est d’en produire une cinquantaine par an d’ici à 2028 dans son usine près de Reims.
Bref, les concurrents ne manquent pas, mais les opérateurs de satellites étant également de plus en plus nombreux, il se pourrait qu’il y ait de la place pour tous. « C’est une question stratégique, précise Sylvain Bataillard. La France doit avoir un accès à l’espace sans dépendre d’autres nations. »
Pour l’entreprise, après le vol suborbital viendra le temps du vol orbital à proprement parler. Pas encore de date, mais le lanceur devrait s’appeler Orbital Baguette One (ou OB One pour les fans de Star Wars et de jeux de mots).
merci à Numerama